Aujourd’hui, une question classique dans l’apprentissage de la musique, et au sujet de laquelle il circule beaucoup de fantasmes et d’informations erronées : je veux parler de l’oreille absolue, ce qu’elle est, ce qu’elle permet, et son importance.

La légende voudrait qu’il existe parmi les gens qui jouent de la musique un peuple élu dont les membres parviennent sans effort à des prouesses à l’instrument, tandis que les autres doivent passer des heures et des heures pour des résultats dérisoires, d’une lenteur telle que ces musiciens s’imaginent immédiatement qu’ils ne sont pas faits pour la musique, et n’y parviendront jamais.

Pour ma part, j’ai une excellente oreille relative grâce aux centaines de chansons que j’ai transcrites, et j’ai même fait une fois l’expérience de l’oreille absolue. Je vais vous décevoir, mais que vous ayez l’oreille absolue ou non ne change strictement rien à votre sort ; pour devenir un meilleur musicien, c’est extrêmement simple : il faut beaucoup travailler.

Les différentes oreilles absolues

Certains ont peut-être froncé les sourcils lorsque j’ai évoqué mon “expérience” de l’oreille absolue : en général, soit on a l’oreille absolue depuis l’enfance, soit on ne l’a pas du tout. Cela reste vrai dans l’immense majorité des cas bien entendu, mais toujours est-il que nous ne sommes pas des robots, et de l’idée abstraite que l’on se fait de l’oreille absolue au ressenti particulier d’une personne qui l’a, il y a de subtiles différences.

Par exemple, pour ma part je pensais que l’oreille absolue permettait l’identification de toutes les notes, à tout moment, quel que soit l’instrument qui joue. C’était avant que je prenne des cours avec une pianiste de jazz qui m’a expliqué son propre cas.

Pour elle, son oreille absolue est intimement liée depuis son enfance au piano, son instrument de prédilection. Elle m’a expliqué qu’elle voyait en permanence un clavier dans sa tête, et que si elle était dans un bon jour, alors elle parvenait à voir immédiatement la hauteur exacte des notes sur ce clavier mental, pourvu qu’elles soient isolées.

Certains penseront qu’elle n’a pas l’oreille absolue si cela ne marche qu’aléatoirement. En fait, si : dans ce qu’elle décrit comme un “mauvais jour”, elle est à côté, mais d’un demi-ton, ce que ne peut pas une oreille relative, même la meilleure.

J’ai aussi vu des cas d’oreille absolue plus impressionnants où un passage d’une improvisation jazz au piano (main gauche et main droite) est repiqué instantanément par le musicien. Ce qui aboutit vite à un effet type “phénomène de foire”, à mon humble avis…

En ce qui me concerne, mon expérience de l’oreille absolue remonte à l’adolescence. J’étais en vacances à l’étranger, dans la rue, quand tout à coup une sirène a retenti. Il s’agissait d’une sirène fixe, en hauteur, et il se trouve que, même si je ne l’ai pas vue, le son est parvenu à mon oreille sans obstacle, d’une façon très pure.

Bref, dans ces circonstances particulières, pour une raison que j’ignore, j’ai vu la note en même temps que je l’ai entendue : c’était un La. Je n’ai rien eu à faire. A aucun autre moment de ma vie je n’ai eu d’autre expérience de ce genre. Je me souviens parfaitement de celle-là tant c’était unique.

Il n’existe donc non pas une oreille absolue, qui serait la solution unique à beaucoup de problèmes en musique, mais une palette de phénomènes d’oreille absolue, qui accompagnent certains musiciens, une minorité de musiciens pour être plus précis, dans certains scénarios.

Gênes possibles avec l’oreille absolue

Toute imperfection dans ce que le musicien ou mélomane à l’oreille absolue écoute saute aux oreilles. Seuls les meilleurs chanteurs du monde sont agréables à écouter. Les guitares de bas et de milieu de gamme sont injouables tant elles sont fausses (ce qu’elles sont en partie, mais c’est un autre sujet). Les chœurs donnent la nausée.

Voici une réalité dont les gens qui n’ont pas l’oreille absolue devraient être heureux, au lieu de voir l’herbe plus verte ailleurs : leur oreille leur permet une immersion dans la musique très pure, sans la permanente activité d’un accordeur mental, dont l’aiguille bougerait tout le temps pour indiquer si la note est légèrement trop haute ou trop basse, et que l’on ne pourrait pas éteindre.

L’oreille absolue n’est pas nécessaire

Mais d’explorer le phénomène de l’oreille absolue dans ses détails n’est pas mon objectif. Ce que je voudrais avant tout est m’attaquer aux lieux communs complètement erronés que l’on entend de la part de non-musiciens ou de novices à son sujet, par exemple :

Définir l’oreille relative

Quelqu’un qui a travaillé son oreille relative, lorsqu’il entend une chanson, par exemple à la radio, peut reconnaître certains éléments ou l’intégralité des accords et de la mélodie, en fonction de ce qu’il a étudié au préalable. Si le musicien a été jusqu’au-boutiste dans son travail, cela peut même être un réflexe, aussi rapide que pour l’oreille absolue.

La différence sera toutefois que le musicien à l’oreille relative ne pourra pas dire quelles notes sont jouées, mais seulement quels mouvements sont réalisés par les accords ou la mélodie. Prenons par exemple la suite d’accords suivante, que l’on entend justement beaucoup à la radio : Do majeur, La mineur, Fa majeur, Sol majeur.

Une oreille relative travaillée connaît très bien ces accords, qui sont la base de la musique occidentale. Le musicien les a joués et assimilés, dans la tonalité de Do mais peut-être aussi en Fa, en Sol, en Ré. Grâce à la pratique, l’oreille a enregistré les sensations que cette suite d’accords provoque.

Admettons que la chanson à la radio joue cette suite, mais dans la tonalité de La bémol majeur, pour accomoder le chanteur par exemple. Le musicien à l’oreille relative ne pourra pas parvenir à ce La bémol tant qu’il n’aura pas pu essayer quelques notes sur un clavier ou une guitare. Mais il peut déjà préparer une grille d’accords en tête, ce qui est un excellent départ.

Déterminer la tonalité

Ce processus est en deux étapes :

  1. déterminer la tonalité de la grille d’accords mentale, dans notre exemple Do majeur (ou La mineur, c’est la même chose). Cela s’identifie d’une part par la connaissance théorique (l’accord Do majeur démarre et termine souvent la chanson, Sol résout souvent sur Do majeur, etc.), d’autre part par le sentiment de sérénité et de stabilité lorsque cet accord est joué. Dans la tonalité de Do majeur, Fa majeur et Sol majeur ne provoquent pas cette sensation, au contraire, ils apportent une tension : tension qui cherche à résoudre vers Do majeur, justement.
  2. déterminer la tonalité du morceau à la radio. Pour cela, il faut tâtonner un peu. Jouer une note, entendre si elle est complètement fausse, jouer plus haut ou plus bas, jusqu’à entendre une note consonante. Celle-là n’est pas notre réponse, mais un premier indice. Comme il y a sept notes par gamme majeure, la note que l’on a identifiée peut être la seconde, troisième, etc. note de la gamme. L’objectif lorsqu’on a une note consonante est de remonter la gamme jusqu’à parvenir à la première note, qui permet la construction de l’accord tonique, Do majeur dans notre exemple.

Ces processus paraissent probablement très compliqués, et ils le sont un peu au début. Je vous invite à prendre votre temps et à répéter plusieurs fois l’exercice. Lorsque vous l’aurez fait, alors non seulement cela ira beaucoup plus vite par la suite, mais cela aura aussi des effets positifs énormes sur votre jeu, en mettant en place les bases de la compréhension harmonique (ou oreille relative).

Rejouer le morceau entendu

Une fois la tonalité définie, se pose la question de savoir si on la connaît ! Après tout, il y a douze tonalités, dont certaines qui sont rarement jouées. Si l’on veut pouvoir jouer avec des enregistrements, il faudra donc connaître le maximum de tonalités. Ce travail est conséquent mais indispensable. Que l’on ait l’oreille absolue ou non, sans les accords dans les doigts, on ne peut rien faire.

En ce qui me concerne, je suggère plutôt, en tout cas au début, de ne pas jouer avec les enregistrements, mais d’écouter la chanson sans jouer, puis de jouer uniquement par soi-même, dans une tonalité de référence, de préférence au clavier. Cela permet de comprendre les relations entre les accords plus rapidement que si l’on change de tonalité à chaque morceau. Faites une chanson simple par jour pendant un an (c’est ce que j’ai fait) et vous n’aurez plus jamais aucun complexe vis-à-vis de l’oreille absolue !